Émissions de CO₂ évitées : ce que cache cet indicateur ESG

Série : Les essentiels de la finance durable – épisode 2

Des tonnes de CO₂ évitées : comprendre ce que l'on mesure vraiment

C'est devenu l'un des indicateurs stars des reportings ESG. Présenté comme la preuve d'un impact positif, il séduit les épargnants mais laisse parfois les conseillers dans le flou : que mesure-t-on exactement derrière ces « tonnes de CO₂ évitées » ? Sur quelles hypothèses reposent ces calculs ? Et surtout, comment distinguer cet indicateur d'autres mesures carbone pour l'expliquer clairement à vos clients ?

Car derrière cette donnée apparemment simple se cachent des calculs complexes et des conventions qui varient d'un acteur à l'autre. Pour un CGP, comprendre les fondements de cet indicateur devient essentiel, notamment pour éviter toute confusion ou interprétation hâtive.

Dans ce deuxième épisode de notre série Les essentiels de la finance durable, nous décryptons cette notion omniprésente sans jargon technique.

Vous y trouverez :

• Ce que recouvre précisément la notion d' « émissions évitées » et en quoi elle diffère d'autres indicateurs carbone

• Les principes de calcul qui permettent d'arriver à ces chiffres

• Des exemples concrets issus de produits financiers que vous recommandez au quotidien

• Les points de vigilance pour en parler avec transparence auprès de vos clients

De plus en plus de sociétés de gestion mettent en avant les « tCO₂ évitées » de leurs fonds, notamment dans les stratégies climat ou transition énergétique. Derrière ces chiffres, une même ambition : démontrer la contribution réelle des investissements à la décarbonation... mais pas toujours avec les mêmes méthodes.

Émissions évitées : la définition simple

Les émissions évitées désignent des émissions qui n'ont pas eu lieu grâce à une solution plus sobre que l'alternative de référence (1).

Exemple concret : Produire de l'électricité solaire génère moins d'émissions que produire un MWh avec le mix électrique moyen d'un pays (souvent plus carboné). La différence entre ces deux niveaux d'émissions, c'est précisément ce qu'on appelle les « émissions évitées » (2).

Ce que ce n'est pas

Pour bien comprendre cet indicateur, il est important de le distinguer de deux autres notions :

• Ce ne sont pas des émissions « réduites », c’est-à-dire une baisse des émissions effectives de l’entreprise grâce à l’amélioration de l'efficacité énergétique de son usine (3)

• Ce ne sont pas non plus des émissions « retirées » de l'atmosphère, rendues possible quand des arbres sont plantés ou quand du carbone est capté (4)

 À noter sur le « scope 4 »

Certains parlent de « scope 4 » pour désigner les émissions évitées. Ce n'est pas un scope officiel du GHG Protocol. On parle plutôt d’ « émissions évitées », à déclarer séparément des scopes 1, 2 et 3 (1)(3).

À retenir : Les émissions évitées mesurent la différence entre une solution bas-carbone et ce qui se serait passé sans elle.

Comment les calculer ?

Le principe repose sur deux étapes clés :

1. Définir un scénario de référence

   Il s'agit de déterminer ce qui se serait passé en l'absence de la solution étudiée (1). Cette étape constitue le point de comparaison.

   Exemple : Pour évaluer l'impact d'un bus électrique, on le compare aux émissions d'un bus diesel effectuant le même trajet.

2. Comparer les émissions des deux options

   On mesure ensuite les émissions de chaque scénario en utilisant des facteurs d'émission reconnus : IEA pour l'électricité, Base Carbone de l'ADEME pour la France, etc. (3)(4).

   En clair, la différence entre les deux correspond aux « tCO₂ évitées ». Un indicateur utile, à condition de le présenter séparément : il ne vient pas réduire l'empreinte des scopes 1, 2 et 3 (3).

Trois exemples concrets dans vos portefeuilles

Pour mieux saisir la portée pratique de cet indicateur, voici comment les « tCO₂ évitées » se traduisent dans des produits que vous recommandez.

1. Fonds thématique Énergies renouvelables

   Contexte : Le fonds investit dans un parc solaire de 50 MW en Espagne.

   Calcul simplifié :
   Le parc produit 80 000 MWh par an. Cette production se substitue à de l'électricité du réseau espagnol, dont le facteur carbone s'établit à 0,25 tCO₂/MWh selon l'IEA.

   → Émissions évitées = 80 000 × 0,25 = 20 000 tCO₂/an

   Pour vos clients : Ce fonds soutient des projets qui génèrent de l'électricité propre en remplacement du réseau classique, encore dépendant des énergies fossiles dans certaines régions, ce qui représente environ 20 000 tonnes de CO₂ non émises.
   

2.  SCPI à impact / Immobilier durable

   Contexte : La SCPI finance la rénovation énergétique d'un immeuble tertiaire (passage DPE E → B).

   Calcul simplifié :
   Économie de consommation : 200 000 kWh de gaz/an. Facteur d'émission du gaz naturel : 0,227 kgCO₂/kWh (ADEME).

   → Émissions évitées = 200 000 × 0,227 = 45,4 tonnes de CO₂/an

   Pour vos clients : Au-delà de l'amélioration du rendement locatif liée à la baisse des charges, cette rénovation génère aussi une réduction significative de l'empreinte carbone du bâtiment par rapport à sa configuration initiale.
   

3.  Fonds Mobilité durable / Transition

   Contexte : Le fonds investit dans une entreprise qui électrifie des flottes de bus urbains (100 bus diesel → électriques).

   Calcul simplifié :
   Un bus diesel parcourt 50 000 km/an et émet ~1 300 gCO₂/km. Un bus électrique émet ~400 gCO₂/km (production électrique incluse).

   → Émissions évitées par bus = 50 000 × (1,3 - 0,4) = 45 tonnes de CO₂/an
   → Pour 100 bus = 4 500 tCO₂/an évitées

   Pour vos clients : En soutenant l'électrification des transports publics, ce fonds contribue à remplacer des solutions polluantes par des alternatives bas-carbone. C'est mesurable et concret.

Ce qu'il faut retenir de ces exemples :
Dans chaque cas, on compare une solution bas-carbone à ce qui existait (ou existerait) en son absence. C'est la logique des « émissions évitées ».

Point d'attention : Ces chiffres ne disent rien sur les émissions propres des entreprises du fonds (leurs scopes 1, 2, 3). Ce sont deux mesures complémentaires, qui ne doivent pas être confondues.

Comment présenter cet indicateur à vos clients

Pour un épargnant, voir « tCO₂ évitées » peut être séduisant. Mais c'est un indicateur à manier avec pédagogie. Voici les points essentiels à garder en tête :

• C'est utile pour illustrer l'impact positif d'un projet (1)

• Mais cela dépend beaucoup des hypothèses : le scénario de référence choisi, les facteurs d'émission utilisés (3)(4)

• Et cela ne remplace pas la réduction des propres émissions d'une entreprise (3)

Une explication simple pour vos rendez-vous

Voici une façon claire de présenter cet indicateur :

« Ce fonds affiche 10 000 tonnes de CO₂ évitées. Concrètement, cela signifie que les entreprises du portefeuille proposent des solutions qui remplacent des alternatives plus polluantes. Par exemple, le fonds a contribué au financement d’une centrale solaire : en produisant une électricité propre, elle se substitue à celle du réseau, souvent plus carbonée. »

Attention, ce n'est pas la même chose que réduire les émissions effectives de l'entreprise. C’est un indicateur complémentaire et un signal intéressant sur sa contribution à la transition énergétique. C'est un indicateur complémentaire qui aide à donner du sens à l'investissement. »

En clair : les « tCO₂ évitées » ne disent pas tout, mais elles racontent quelque chose.

Elles traduisent la dynamique d'une économie en transition, où chaque kilowatt-heure renouvelable, chaque rénovation énergétique, chaque projet bas-carbone compte. Pour les CGP, l'enjeu consiste à pouvoir en parler avec précision et transparence, en situant cet indicateur dans un cadre d'analyse plus large.

À retenir pour vos rendez-vous : les « tCO₂ évitées » sont un indicateur complémentaire, utile pour donner du sens à l'investissement, à condition de les expliquer avec transparence.

À suivre...

• Épisode 3 – Scope 3 : comprendre l'indicateur d'émissions indirectes (à paraître prochainement sur notre blog)

• À lire : Épisode 1 – ESG, ISR, Impact : le guide pratique pour les CGP

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Sources et ressources utiles :
(1) WRI / GHG Protocol – Estimating & Reporting Avoided Emissions  
(2) IEA – Méthodologie et facteurs d'émission de l'électricité – Emission Factors 
(3) GHG Protocol – Corporate Standard (Scopes 1, 2, 3) – ghgprotocol.org – Corporate Standard 
(4) ADEME – Base Carbone / Base Empreinte – basecarbone.ademe.fr – Facteurs d'émission France